2017/06/07

Napoleon Bonaparte, Empereur




Plus tard, l'Empereur, parlant des moeurs de Paris 

et de l'ensemble de son immense population, 

énumérait toutes les abominations inévitables, disait-il, 

d'une grande capitale, où la perversité naturelle 

et la somme de tous les vices se trouvaient aiguillonnées à chaque instant 

par le besoin,  la passion, l'esprit et toutes les facilités du mélange et de la confusion ; 

et il répétait souvent que 

toutes les capitales étaient autant de Babylones.








Extraits des Mémoires rédigées par son Valet de Chambre


"55

Les royalistes, tout-à-fait oubliés depuis la pacification de la Vendée, reparaissaient sur l'horizon politique; c'était un accroissement de mon autorité ; je refaisais la royauté. C'était chasser sur leurs terres. Ils ne se doutaient pas que ma monarchie n'avait point de rapport à la leur. La mienne était toute dans les faits. La leur toute dans les droits. La leur n'était fondée que sur des habitudes, la mienne s'en passait, elle marchait en ligne avec le génie du siècle ; la leur tirait à la corde pour s'y retenir.


53
Mon autorité ne reposait pas, comme dans les vieilles monarchies, sur un échafaudage de castes et de corps intermédiaires, elle était immédiate et n'avait d'appui que dans elle-même, car il n'y avait dans l'empire que la nation et moi. Mais dans cette nation, tous étaient également appelés aux fonctions publiques; le point de départ n'était un obstacle pour personne, le mouvement ascendant était universel dans l'état : ce mouvement a fait ma force.

Je n'ai pas inventé ce système, il est sorti des ruines de la Bastille ; il n'est que le résultat de la civilisation et des mœurs que le temps a donné à l'Europe. On essayera en vain de le détruire; il se maintiendra par la force des choses, parce que le droit finit toujours par se placer là où est la force. Or, la force n'était plus dans la noblesse depuis qu'elle avait promis au tiers-état de porter les armes et n'avait plus voulu être la seule milice de l'état.


59
La force n'était plus dans le clergé, depuis que le monde était devenu protestant en devenant raisonneur. La force n'était plus dans le gouvernement précisément, parce que la noblesse et le clergé n'étaient plus en état de remplir leurs fonctions, c'est-à-dire d'appuyer le trône. La force n'était plus dans la routine et les préjugés; depuis qu'on avait démontré au peuple qu'il n'y avait ni routine ni préjugés. Il n'y avait dissolution dans le corps social, longtemps avant la révolution, que parce qu'il n'y avait plus de rapport entre les mots et les choses. La chute des préjugés avait mis à nu la source des pouvoirs, on avait découvert leur faiblesse; ils sont tombés en effet à la première attaque.

Il fallait donc refaire l'autorité sur un autre plan, il fallait qu'elle se passât du cortège des habitudes et des préjugés; il fallait qu'elle se passât de cet aveuglement qu'on appelle la foi. Elle n'avait hérité d'aucuns droits ; il fallait donc qu'elle fût en entier dans le fait, c'est-à-dire dans la force.


La guerre avait recommencé avec l'Angleterre, parce qu'il ne lui est plus possible de rester longtemps en paix. Le territoire de l'Angleterre est devenu trop petit pour sa population ; il lui faut pour vivre le monopole des quatre parties du monde ; la guerre procure seule ce monopole aux Anglais, parce qu'elle lui vaut le droit de détruire sur mer. C'est sa sauvegarde.

Il n'y avait dans l'empire que la nation et moi L'Angleterre était fatiguée par le séjour de mes troupes sur les côtes; elle voulait s'en débarrasser à tout prix et chercha, la bourse à la main, des alliés sur le continent, elle devait en trouver. Les anciennes dynasties étaient effrayées de me voir sur le trône. Quelques politesses que nous nous fissions, elles voyaient bien que je n'étais pas un des leurs; car je ne régnais qu'en vertu d'un système qui détruisait l'autel que le temps leur avait élevé. J'étais à moi seul une révolution. L'empire les menaçait comme la république; elles le redoutaient davantage, parce qu’il était plus robuste.


Il n'y a pas d'autres liens entre les peuples que ceux des intérêts qu'ils mettent en commun.


Il fallait créer mon siècle pour moi, comme je l'avais été pour lui.


85
Le principe vital de la résistance était en Angleterre; je n'avais aucun moyen de l'attaquer corps à corps, et j'étais sûr que la guerre se renouvellerait sur le continent, tant que le ministère anglais aurait de quoi en payer les frais. La chose pouvait durer longtemps, parce que les bénéfices de la guerre alimentaient la guerre.
C'était un cercle vicieux, dont le résultat était la ruine du continent. Il fallait donc trouver un moyen de détruire les bénéfices que la guerre maritime valait à l'Angleterre, afin de ruiner le crédit du ministère. On me proposa, dans ce but, le système continental. Il me parut bon, et je l'acceptai. Peu de gens ont compris ce système. On s'est obstiné à n'y voir d'autre but que celui de renchérir le café. Il devait avoir de toutes autres conséquences. Il devait ruiner le commerce anglais.

103
La cour de Vienne a une politique tenace, que les évènements ne dérangent jamais. J'ai été longtemps avant d'en deviner la cause. Je me suis aperçu enfin, mais trop tard, que cet état n'avait de si profondes racines que parce que la bonhomie du gouvernement l'a laissé dégénérer en oligarchie. L'état n'est plus mené que par une centaine de nobles. Ils possèdent le territoire et se sont emparés des finances, de la politique et de la guerre. Au moyen de quoi ils sont maîtres de tout et n'ont laissé à la cour que la signature. Or, les oligarchies ne changent jamais d'opinions, parce que leurs intérêts sont toujours les mêmes. Elles font mal tout ce qu'elles font, mais elles le font toujours parce qu'elles ne meurent jamais. Elles n'obtiennent jamais de succès, mais elles supportent admirablement les revers, parce qu’elles les supportent en société. L'Autriche a dû quatre fois son salut à cette forme de gouvernement;

116
Pour être entière, il ne faut pas qu'une autorité ait des époques marquées d'avance.


Les opinions avaient marché en Espagne dans un sens inverse du reste de l'Europe. Le peuple, qui s'était élevé partout à la hauteur de la révolution, y était resté fort au-dessous ; les lumières n'avaient pas percé jusqu'à la seconde couche de la nation; elles s'étaient arrêtées à la surface, c'est-à-dire sur les hautes classes. Celles-ci sentaient l'abaissement de leur patrie, et rougissaient d'obéir à un gouvernement qui perdait leur pays. On les appelait les libéraux.
En sorte que les révolutionnaires étaient en Espagne ceux qui avaient à perdre à la révolution; et ceux qui devaient y gagner ne voulaient pas en entendre parler. Le même contre-sens a eu lieu également à Naples.
II m'a fait faire beaucoup de fautes, parce que je n'en ai pas eu la clef d'entrée.


L'homme découragé reste indécis, parce qu'il ne voit devant lui que de mauvais partis, et ce qu'il y a de pire dans les affaires, c'est l'indécision.


Jamais entreprise plus téméraire en apparence, ne causa moins de peine à exécuter; c'est qu'elle était conforme aux maux de la nation, et que tout devient facile quand on sent l'opinion.


L’on peut s'arrêter quand on monte, jamais quand on descend."





MAIS, si Bonaparte eut de grandes idées, il n'a pas tout prévu, 
et le résultat pratique de ses grandes et bonnes idées fut de donner le pouvoir 
à la bourgeoisie, càd à l'argent:


Réponse de Nicolas (L'étang de Précigny par Elie Berthet):

"— Ainsi donc, s'écria enfin Mathurin, en levant les yeux au ciel d'un air de reproche, tout nous abandonne! Le pauvre, aujourd'hui, ne trouve nulle part ni protection ni appui... Est-ce donc pour cela qu'on a versé tant de sang et qu'un a fait des révolutions ?

— Personne ne s'inquiète de nous maintenant que nous avons des droits écrits sur le papier, dit Nicolas avec amertume ; autrefois, sous l'ancien régime, quand nous avions des maîtres et des seigneurs, nous étions plus heureux...  Oui, mes amis, continua-t-il en s'animant, si autrefois une population entière de pauvres paysans avait été menacée de destruction comme nous le sommes, des hommes puissants, dans leur propre intérêt, eussent pris en main notre cause, ils nous eussent fait rendre justice...  Mais au temps où nous vivons, chacun pour soi et Dieu pour les riches ... Si nous ne pouvons nous sauver nous-mêmes, on nous laissera périr.

Quelques gémissements répondirent aux regrets impuissants du vieillard. Mathurin seul crut devoir protester contre ses paroles.

— Vous êtes de l'ancien régime, père Nicolas, reprit-il; vous vous souvenez d'avoir été jardinier au château de Précigny, et vous êtes trop disposé à mal juger du temps où nous vivons...Pourquoi ne trouverions-nous plus d'honnêtes gens pour nous plaindre et nous protéger ?

— C'est que, mon pauvre Mathurin, les honnêtes gens, aujourd'hui, aiment le calme et le silence; ils ne se soucient pas d'affronter les inimitiés redoutables pour un intérêt qui n'est pas le leur..."



Le plus grand héritage de Napoléon, ce sont ses lois,
il le dit lui-même.

Mais, si Napoléon croyait dans ses lois, 
c'est qu'il croyait aux hommes.

Or, tant qu'il était là pour veiller à ce que ses lois, juste en elles-mêmes,
profitent à tous, 
son tort a été de ne pas voir que,
quand il ne serait plus là,
ses lois ne profiteraient plus qu'à certains ...



"Monsieur Laurent, le maître de cette usine devenue si fatale aux habitants de Précigny, n'était pas précisément, malgré la haine de ses voisins, un méchant ou un malhonnête homme.

C'était un de ces spéculateurs, assez communs à notre époque d'industrialisme, qui prennent volontiers le bien-être matériel de la société pour son intérêt suprême, et qui, de la meilleure foi du monde, croient rendre service à l'État en faisant leur fortune. Auprès de pareilles gens, le désir d'acquérir se substitue tout naturellement aux sentiments de générosité, de grandeur, de fraternité humaine; le génie des affaires éteint le cœur; une sèche et impitoyable raison étouffe les idées morales, que l'on s'habitue à regarder comme de vaines futilités."




Napoléon fut l'un des premiers à parler de l'Europe, et non seulement à en parler mais à en poser les fondements. Mais, alors que ce visionnaire avait rêvé une Europe des peuples, l'histoire a enfanté une Europe des intérêts, et pas des meilleurs ...









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